11/09/17 - Traumatisme de l'autocollant
Un jour, nous étions, moi et ma soeur, avec la mère ou la tante, à Noz. Dans un bac, des liasses de feuilles autocollantes sous blister. On demande s'il est possible d'en avoir. On est sans espoir, on va implorer mais comme d'habitude ce sera non. Ca coute presque rien, des centimes. Finalement, il nous est accordé le droit d'en avoir une chacun. Je suis joyeux, admiratif, je contemple ma liasse, il y a des dessins à la gouache, ils sont très beaux. Je suis un lecteur du journal de Spirou, je passe du temps à regarder les dessins, et je sais qu'on a affaire à un travail de qualité. Je dessine moi aussi, incontestablement, le dessin est "surhumain".
Quand on arrive à la maison, je prends
ma liasse et j'hésite à la déballer. Ma soeur l'ouvre avec
précipitation. "Montre !" je lui dis. "T'as cas
regarder les tiennes !" elle me répond. "Allez !"
j'insiste. Elle me laisse alors regarder, mais je n'ai pas le droit
de toucher. Je prends du temps, elle les fait défiler les une après
les autres, rapidement. "Attends ! J'ai pas vu celle d'avant !"
je lui dis. Elle grogne, mais on arrive, avec quelques hurlements, à
satisfaire notre envie de voir. Elle décider de ranger sa liasse et
m'interdit formellement d'y toucher. Je décide de faire semblant
d'aller les voir pour l'énerver, elle gueule, et fini par crier
"Maman ! _ il m'embête !". Je lui dis "C'est bon !
J'arrête !" et je retourne dans ma chambre.
Je décide de ne pas déballer ma
liasse d'autocollants, ils ont trop de valeur, ils sont trop beaux.
Je les cache dans ma vieille armoir en bois, sous une tapisserie
posée là. "Tu les as mis où les tiens ?" me demande la
soeur. "Secret !" je lui réponds.
Les jours passent, et plusieurs fois je
vais les chercher pour les regarder emballés. Je demande à ma soeur
si je peux voir quand elle les sorts, pour voir à quoi ressemblent
les miens. Elle proteste, mais fini par céder. Elle a déjà
commencé à les utiliser, elle les colles sur des lettres qu'elle
écrit à la mère, aux copines, qui sont destinées à être
accrochées, etc.
Ca m'intrigue. Comment elle peut faire
pour gaspiller comme ça ces trésors autocollants. On dirait qu'elle
voit pas la valeur du dessin, qu'elle ne ressent pas à quel point
ils sont somptueux. Elle les utilises comme on utilise la bave qui
colle une lettre. Je lui fais savoir mais elle ne m'écoute pas. Pour
elle, les autocollants c'est fait pour être collé. D'ailleurs, elle
me dit que si je n'utilise pas les miens elle viendra me les voler.
Je panique et lui dit qu'elle n'a pas intérêt à le faire, sans ça
elle serait une [insultes].
Je rentre dans ma chambre, je contemple
à nouveau mes autocollants, la soeur entre brusquement et me dit :
"Aha ! C'est là que tu les cachais !". Au bord de la crise
de nerf, je dit : "T'as pas intérêt d'y toucher !". Puis, dépité, ayant vu mon secret
violé. Je me dis qu'il fallait changer l'aspect de l'objet pour le
"repurifier". Je l'ouvre enfin. Je regarde les feuillets,
suis admiratif, et les ranges.
Les semaines passent, les mois
peut-être. Et un jour, le drâme, des autocollants ont disparus. Je
cours dans la chambre de la seule coupable, elle me dit "Bah
quoi ? Tu les utilises pas.". Je retourne dans ma chambre, je
pousse le lit contre la porte pour que personne n'entre, j'enfonce ma
tête dans l'oreiller et je pleure.
Je suis dépité. Dégoutté. La vie
est tellement injuste. Ils sont foutu. Quand c'est décollé on peut
plus remettre ça comme c'était. Mes belles feuilles lisses,
parfaites, sont définitivement détruites, violées. Je me demande
si je pourrais pas demander à la mère qu'on aille voir en magasin
si je peux en trouver d'autres, mais elle voudra jamais. Alors
j'essaye de les cacher ailleurs.
Je retourne voir la soeur, exige les
feuilles où ont été collées mes autocollants. J'essaye de voir si
on ne peut pas les décoller mais rien n'y fait, c'est foutu.
J'ai passé des jours à angoisser
profondément, je me disais que je lui pardonnerais jamais. Que
c'était trop injuste. Je lui avais dit pourtant que je voulais pas
qu'elle y touche. Je voyais mes feuilles d'autocollants jaunies, dans
un grenier, je les aurais montré à mes enfants. Je leur aurais dit
que c'était quand j'étais petit que je les avais eu. Mais tout est
définitivement détruit.
Elle est revenu me les voler plusieurs
fois quand j'étais pas là. Et pour finir, je me suis dit que je
devais les coller moi-même. J'ai voulu écrire une lettre parfaite
pour les y mettre. J'étais sur mon petit bureau de bois, avec un
stylo plume, un papier, j'écrivais, encore et encore, mais rien de
bon n'est sorti.
Pour finir, désespéré, convaincu que
le monde ne permettait pas à mes autocollants d'exister, j'ai
décidé de les lui donner pour qu'elle les colles où elle voulait.
Plus tard, j'ai eu des timbres, dans le
journal de Spirou. Bah je les ai tous utilisé rapidement sur de
fausses lettres que j'ai jeté. Je savais bien qu'ils étaient
destinés à la poubelle.
Quand t'aimes quelque chose, que tu
veux le garder, que tu te vois vieillir avec, tu peux être sûr
qu'on va te le salire et le jeter. Il faut croire que je me suis pas
fait à l'idée. Et, on pourrait penser que ça éxplique pourquoi je
refuse de jeter les relations humains.
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